Manuela Lalic
du 19 janvier 2013 au 23 février 2013 Activisme timide
Les installations de Manuela Lalic se preÌsentent comme des espaces voueÌs aÌ€ la deÌmesure que caracteÌrise une pratique de la surabondance, dissimulant toutefois un souci d’ordre minimaliste. Sans pour autant saturer les lieux qu’elles investissent – quoiqu’en les contaminant consideÌrablement –, ces interventions mettent en place une seÌrie d’associations empruntant leurs composantes aÌ€ l’ineÌpuisable socieÌteÌ de consommation.
EÌvideÌs le plus souvent de leur fonction initiale, les eÌleÌments heÌteÌroclites que l’artiste reÌactive semblent davantage seÌlectionneÌs pour leurs qualiteÌs formelles et le pouvoir d’eÌvocation qui reÌsulte de l’hybriditeÌ aussi seÌduisante qu’insoupçonneÌe de leurs combinaisons. Ce « choc des heÌteÌrogeÌ€nes(1) » est symptomatique d’une recherche visant aÌ€ reÌveÌler le potentiel poeÌtique de notre environnement quotidien. AÌ€ la fois critiques, les micro-actions organiques et quasi-scientifiques que l’artiste met aÌ€ l’eÌpreuve offrent diffeÌrentes narrations ponctueÌes par la disposition hieÌrarchique des eÌleÌments dans l’espace et le simulacre d’une dichotomie nature/culture.
Cette production polymorphe reÌveÌ€le une propension de l’artiste aÌ€ l’exceÌ€s qui s’incarne dans le chaos transitoire d’un eÌchec fonctionnaliste. AÌ€ l’instar des agencements de motifs, c’est eÌgalement ce qu’eÌvoquent les masses instables et informes qui apparaissent freÌquemment dans ses installations. Ainsi, l’oeuvre preÌsenteÌe chez Optica se compose de milliers de trombones tordus – eÌleÌments reÌcurrents depuis 1998 –, ici eÌparpilleÌs sur une surface eÌpureÌe. Cette masse diffuse agit pour Lalic sur l’ambivalence d’un constat du temps perdu eÌvoqueÌe par le geste reÌpeÌtitif et meÌcanique de son assemblage. Face aÌ€ la faillite que constitue cette action, elle y voit la meÌtaphore d’un eÌlan collectif concentreÌ dans une obstination solitaire. Cette conduite n’est pas sans rappeler le principe de la perte, « qui doit eÌ‚tre la plus grande possible pour que l’activiteÌ prenne son veÌritable sens(2) ». L’eÌnergie ainsi deÌpenseÌe manifeste un deÌsir d’investissement qui eÌchappe aÌ€ l’inertie, aussi improductif que puisse sembler le geste. Comparable aÌ€ une banquise, la surface aÌ€ laquelle s’agrippe cette structure deÌsarticuleÌe cherche aÌ€ accroiÌ‚tre sa nature organique, tout en y accentuant le deÌsœuvrement.
Certes ironique, l’« activisme timide » de Lalic se reÌveÌ€le alors dans la caricature d’un paysage glacial confronteÌ aÌ€ un inventaire d’eÌtrangeteÌs, le tout dissimulant la critique d’une socieÌteÌ qui tend sans cesse aÌ€ preÌfabriquer et standardiser les multiples facettes de notre existence.
Alexandre Poulin
1. Jacques RancieÌ€re, Malaise dans l’estheÌtique, Paris, GalileÌe, 2004, 173 p.
2. Georges Bataille, La part maudite [1967] preÌceÌdeÌe de La notion de deÌpense [1949], Paris, Les eÌditions de minuit, 2011, p. 24.
L’artiste remercie le Conseil des arts et des lettres du QueÌbec.
«Activisme timide» est brièvement mentionnée et recommandée dans l'article de Nicolas Mavrikakis, Pistes hivernales ( Voir, 10 janvier 2013).
D’origine française, Manuela Lalic possède un diplôme de mâtrise en arts plastiques de l’Université du Québec à Montréal (2000). Finaliste du prix Powerhouse 2012 et récipiendaire de la bourse Pratt et Whitney Canada (2009), elle a entre autres présenté son travail au Canada, aux États-Unis, en France, en Allemagne, au Liban, au Japon, en Chine et, plus récemment, en Serbie.